Joyce : du roman à la nouvelle, de la nouvelle au drame – du drame au roman
Résumé
Exiles, seule des trois pièces de Joyce que nous ayons conservée, se présente comme une charnière dans son œuvre. Commencé en 1914, au moment même où A Portrait of the Artist as a Young Man paraît dans la revue The Egoist, où Dubliners sont enfin publiés à Londres et où Joyce entreprend effectivement Ulysses, ce drame apparaît comme un lien étroit entre les nouvelles scrupuleuses de la mesquinerie irlandaise, le roman de l’artiste en quête de nouveauté et les multiples révélations ponctuant la longue et fictive journée du 16 juin 1904. Comme dans Dubliners, en effet, c’est l’espace qui y tient le premier rôle. Comme dans A Portrait, le personnage central est écrivain et tente de définir sa liberté en remettant en question un certain nombre de valeurs telles que l’amitié, l’amour, la fidélité. Comme dans Ulysses, l’argument de la pièce est le retour d’exilés dans une patrie qui leur est devenue partiellement étrangère – le nóstos se changeant en un nouvel exil. Comme dans Ulysses encore, les différents acteurs figurent des fantasmes sexuels, et la reprise des combinaisons du vaudeville sert une analyse serrée de ce que Joyce pense être la concupiscence féminine. Comme dans Ulysses enfin, les frontières entre le monde extérieur et l’univers intérieur deviennent toujours plus fragiles, tandis que la sexualité, la maternité et la mort sont singulièrement rapprochées. Cette perspective thématique signale l’émergence et les liens des motifs obsédants de l’œuvre joycienne. Mais elle ne doit pas faire perdre de vue qu’Exiles sont aussi pour Joyce l’occasion à la fois d’appliquer les théories dramatiques qu’il avait patiemment élaborées dès le tournant du siècle.