La matière de Jérusalem : les raisons d’une omission ou l’exégèse de la rose
Abstract
Pourquoi Jean Bodel a-t-il négligé d’évoquer, dans sa célèbre tripartition des matières romanesques, cette source d’inspiration première de la littérature médiévale ? Nous voudrions montrer que cette omission est chargée de sens dans la mesure où nous avons affaire à un matériau d’une texture particulière et qui ne sera que progressivement façonné en matière littéraire : la matière de Jérusalem nous vient de l’ailleurs ; elle n’est pas seulement à l’origine d’une vision religieuse de l’univers, mais aussi la source d’un rapport original au livre, au texte et au monde ; elle est à l’origine d’un réseau de correspondances à l’infini. Mais elle a généré également la nécessité d’une exégèse et inventé l’exploration des sens derrière la lettre. Enfin, elle se situe aux antipodes de la fable, revendique sa vérité, assume une dimension historique ; l’histoire sainte n’est-elle pas l’Histoire par excellence ?
C’est grâce à son essence fondamentalement métaphorique et parabolique, malléable à l’envi, que la matière de Jérusalem se prête à toutes sortes de syncrétismes, « pactes » et conjointures, en se mariant en particulier avec la matière de Bretagne, de France et de Rome, sans pour autant perdre sa griffe indélébile.
Parce que la matière de Jérusalem permet à une rhétorique de l’allusion de se développer et de générer de multiples prismes de sens ; parce qu’elle fournit à l’invention poétique une armature invisible fondée sur l’implicite; parce qu’elle emprunte à sa dimension sacrée une dynamique lyrique et à son contenu une topique intemporelle et exploitable à l’infini, pour toutes ces raison elle est glaise originelle, antérieure à la notion de matière, toute prête à recevoir du Poète le souffle de vie, mais dans la forme et la couleur qu’il aura lui aura choisies.
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