Les analyses que présentera cette étude ont pour objet de mettre en évidence un problème de hiérarchie, qu’implique l’idée même d’interprétation. Cette notion, dans l’univers philosophique, semble en effet en situation de tension constante entre deux demandes : l’exigence de compréhension, d’une part, et l’exigence d’honnêteté d’autre part. Cette dernière impose de manière générale le souci aigu de fidélité à l’égard du texte soumis à ce traitement exceptionnel, dépassant l’appréhension immédiate, qu’est l’opération de déchiffrage. L’idée d’interprétation est née en particulier de l’expérience de difficultés de compréhension : il faut interpréter — ou plutôt, le lecteur en est réduit à interpréter — quand le sens ne s’impose pas spontanément, ou ne s’impose pas de manière satisfaisante, mais que rien n’autorise cependant à traiter le texte que l’on s’efforce de lire comme dénué de sens. Mais simultanément, c’est bien le texte qu’il s’agit de lire : interpréter signifie d’abord dégager le sens, non pas ajouter un sens ou du sens, ni accéder à un sens, autre, à l’occasion du texte : l’exigence d’honnêteté vise donc le respect du texte, quelles que soient les difficultés de lecture qu’il oppose. Comment ces deux exigences s’articulent-elles ? L’une d’elles est-elle prioritaire ? Tel est le problème qu’abordera cette étude en considérant les réflexions de deux penseurs particulièrement préoccupés par le risque de déviation qu’implique la visée interprétative, qui ont l’un et l’autre la particularité d’avoir placé au cœur même de leur entreprise une investigation sur les critères de la lecture recevable : Pascal et Nietzsche.