Une nation, des régions : la langue française au singulier, ou le “patois” comme impensé
Résumé
Dans cet article est questionné le difficile point d’équilibre tenu entre unité et diversité linguistique au cours des premières décennies de la IIIe République. La célébration de la patrie française prend acte de la variété de ses provinces, source de fierté et érigée en nouveau critère définissant la nation au lendemain de la défaite de Sedan. Or le terroir est intimement lié à la langue qui y serait enracinée, et qui n’est pas toujours, loin s’en faut, la langue française « classique » érigée en langue de la nation. Comment dès lors concilier unité et diversité, sans remettre en question l’équivalence entre langue et nation, au singulier ? La langue régionale est-elle considérée comme une forme « pure » de la langue nationale, ou au contraire un facteur de corruption que les instituteurs, notamment, doivent bannir des salles de classe ?
L’examen d’un corpus historique, philologique et littéraire (G. Bruno, Bréal, Larousse, G. Paris, Renan, A. Daudet, Le Goffic) amène à qualifier le « patois » d’impensé de l’imaginaire linguistique national : il est tantôt passé sous silence, ou effacé par la traduction, tantôt célébré, tout en étant objet de théories contradictoires (est-il langue morte ou langue vivante ? langue étrangère ou variante du même ?). Il apparaît que l’idéal d’unité en cette fin de siècle peine à être saisie indépendamment d’un idéal de pureté, qui conduit à tenir à distance le patois. Un des éléments de cette impureté serait en effet la langue des paysans, figures de l’altérité intérieure, lesquels sont toujours soumis à une appréhension ambivalente : célébrés, dans le sillage du romantisme, comme gardiens des traditions nationales ancestrales, ils sont dans le même temps objets d’une méfiance sociale, celle attachée aux classes populaires, réactivée après la Commune. Ils sont donc appelés à se traduire en Français, et en français, selon une conception de la traduction rétive au bilinguisme et au multilinguisme, mais n’empêchant pas, peut-être, une résistance du patois dans les marges ou les profondeurs des textes et des imaginaires.
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